La croissance et la transformation à partir de Neuf

SFR, l’un des géants des télécommunications en France, a connu une évolution marquée par des fusions stratégiques, des acquisitions hors normes et des changements significatifs dans sa structure de capital. Retour sur l’historique de cette entreprise emblématique, depuis ses origines avec Neuf jusqu’à sa position actuelle.

Les Débuts avec Neuf Cegetel

En 2005, le paysage des télécommunications français a connu un tournant majeur avec la disparition de SFR-Cegetel et la scission du groupe en deux entités distinctes : Neuf Cegetel et SFR. Cette restructuration a permis à SFR de se concentrer sur les offres mobiles, devenant ainsi le pionnier des services 3G et 3G+ sur le marché français. Cette même année, Neuf Telecom a acquis la filiale Cegetel, donnant naissance à Neuf Cegetel et marquant une séparation claire entre SFR et Cegetel.

L’année 2006 a vu SFR renforcer sa position dans Neuf Cegetel en acquérant les parts détenues par Belgacom, augmentant ainsi sa participation dans l’opérateur alternatif fixe et Internet. En 2007, SFR a lancé sa propre offre ADSL et a racheté les activités fixes de Télé2 en France, consolidant ainsi sa présence sur le marché de l’Internet haut débit.

En 2008 c’est la réunification. SFR est devenu l’actionnaire majoritaire de Neuf Cegetel en rachetant les parts du groupe Louis Dreyfus, réunissant ainsi toutes les activités du groupe sous la marque SFR. Cette consolidation a marqué le début d’une nouvelle ère pour l’entreprise, lui permettant de proposer une gamme complète de services de télécommunications.

L’Ère Vivendi et l’acquisition par Altice

En 2011, Vivendi a acquis la part de Vodafone dans le capital de SFR, devenant ainsi le seul actionnaire de l’opérateur français. Cette acquisition a permis à SFR de bénéficier du soutien et des ressources de Vivendi, renforçant ainsi sa position sur le marché.

En 2014, un autre acteur de la filière fibre optique cherche à assurer une croissance externe, c’est Numéricable du groupe Altice. Il cherche à renforcer son encrage en Europe.

En combinant les activités de SFR avec celles de Numericable, le groupe pouvait réaliser des économies d’échelle significatives. Cette fusion permettait de mutualiser les infrastructures, les ressources et les compétences, réduisant ainsi les coûts opérationnels et améliorant l’efficacité globale.

SFR ne se limitait pas aux services de télécommunications mobiles et fixes, mais avait également des activités dans les médias et le divertissement. Cette diversification était attractive pour Altice, qui cherchait à élargir son portefeuille d’activités et à offrir une gamme plus complète de services à ses clients.

Altice avait pour ambition d’investir massivement dans les infrastructures de télécommunications, notamment dans le déploiement de la fibre optique et des réseaux haut débit. L’acquisition de SFR permettait à Altice de disposer des ressources nécessaires pour accélérer ces investissements et innover dans les services proposés aux consommateurs et aux entreprises. Le marché des télécommunications en France est très concurrentiel, avec des acteurs majeurs comme Orange, Bouygues Telecom et Free. En acquérant SFR, Altice pouvait mieux rivaliser avec ces concurrents et offrir une alternative solide aux consommateurs, tout en renforçant sa position sur le marché.

L’acquisition de SFR représentait également une opportunité financière intéressante pour Altice. Malgré les défis et les coûts associés à l’intégration de SFR, Altice voyait dans cette acquisition un potentiel de croissance à long terme et une occasion de générer des rendements attractifs pour ses actionnaires.

C’est ainsi pour des raisons de croissance du groupe Altice, d’intérêts financiers et opérationnels que SFR a été racheté, marquant le début d’une série de changements stratégiques. Altice, coté à la bourse d’Amsterdam, a réalisé un chiffre d’affaires de 21 milliards d’euros en 2016 et de 18 milliards d’euros en 2017. Cette acquisition a permis à SFR de diversifier ses activités et de renforcer sa position sur le marché des télécommunications.

A partir de 2016, C’est la période de la diversification. SFR a créé la branche SFR Media, comprenant SFR Presse, SFR RadioTV et RMC Sport. Cette diversification a permis à SFR de ne plus se limiter au secteur des télécommunications, mais de s’étendre également aux médias et au divertissement.

En 2018, Altice Europe a annoncé la vente de 49,99% du capital de SFR FTTH, la structure « housing SFR’s fiber network assets outside major cities, to an investor group comprising Allianz Capital Partners, Axa Investment Managers Real Assets and OMERS Infrastructure for 1.8 billion euros ».

En 2021, Altice France a annoncé la réduction de 1 700 emplois, incluant 400 dans les magasins SFR, en partie dû à l’accélération de la baisse de fréquentation liée à la pandémie de Covid-19. Cette décision a été prise dans le cadre d’une restructuration visant à adapter l’entreprise aux nouvelles réalités du marché.

Aujourd’hui, Altice France S.A. (anciennement Numericable Group, puis SFR Group) est détenu à 55% par l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi via Altice Group Lux, et à 45% par divers créanciers tels que BlackRock, Fidelity et PIMCO. SFR Group, spécialisé dans les prestations de télécommunications par fibre optique, propose des services de téléphonie fixe, mobile, d’accès à Internet très haut débit et des services audiovisuels.

Le chiffre d’affaires par activité se répartit comme suit : prestations de télécommunications au grand public (66,9%), prestations de télécommunications aux entreprises (18,3%), prestations de télécommunications aux opérateurs (12,1%) et prestations de télécommunications aux médias (2,7%).

La dégradation des performance et les nouveaux défis

SFR a enregistré une perte massive d’abonnés en 2024, avec près de 1,3 million de clients en moins, doublant la perte enregistrée en 2023. Le secteur mobile est particulièrement touché, avec une perte de 1,051 million d’abonnés, tandis que le fixe a vu une diminution de 258 000 abonnés. Cette hémorragie d’abonnés s’accompagne d’une baisse du chiffre d’affaires de 2,5 % en un an et d’une rentabilité en déclin, avec un excédent brut d’exploitation en baisse de plus de 5 %.

La dette de SFR reste un autre point critique. Après une restructuration en 2025 d’une dette initiale de 24 milliards d’euros, elle reste très élevée, s’élevant à 15,5 milliards d’euros. Cette situation financière précaire a poussé SFR vers une procédure de sauvegarde accélérée, révélant un état de fragilité important.

Les Enjeux de la cession

Face à cette situation, Altice envisagerait la cession de SFR, soit dans son intégralité, soit par activités, pour alléger sa dette et redresser l’entreprise. Plusieurs points clés sont à considérer :

  1. Valorisation : La valorisation de SFR est estimée autour de 30 milliards d’euros, incluant la dette. Cette estimation reflète à la fois les actifs tangibles et intangibles de l’entreprise, ainsi que son potentiel de redressement.
  2. Intérêt des Acteurs : Plusieurs acteurs français, dont Orange, Bouygues et Iliad/Free, ont montré un intérêt marqué pour le rachat de SFR. Des investisseurs étrangers, notamment des fonds du Golfe, sont également sur les rangs. Cet intérêt diversifié pourrait faciliter la cession et permettre à Altice de trouver un repreneur capable de redresser SFR.
  3. Démantèlement possible : Une possibilité envisagée est le démantèlement de SFR, avec une vente partielle par activité. Cette approche permettrait d’éviter la création d’un acteur dominant unique et de respecter les régulations anti-monopole. Elle pourrait également maximiser la valeur de la cession en attirant des acquéreurs spécialisés dans différentes activités.
  4. Finalisation de la restructuration : La finalisation de la cession est attendue après la poursuite de la restructuration de la dette d’Altice et la procédure judiciaire associée à la sauvegarde accélérée. Cette étape est cruciale pour stabiliser la situation financière de SFR et rendre l’entreprise plus attractive pour les potentiels acquéreurs.

La cession de SFR représente une opportunité de redressement pour l’entreprise, mais elle comporte également des risques. Le succès de cette opération dépendra de la capacité d’Altice à trouver un repreneur capable de mettre en œuvre une stratégie de redressement efficace. Pour les acteurs intéressés, l’acquisition de SFR pourrait représenter une occasion de renforcer leur position sur le marché des télécommunications en France et de bénéficier des synergies potentielles. Toutefois, un point reste dans l’ombre.

L’angle mort du rebond de SFR : la souveraineté numérique et économique du secteur

Dans ce contexte, plusieurs stratégies sont envisagées pour favoriser une consolidation du secteur français des télécommunications et préserver les actifs stratégiques sous contrôle national.

Il est crucial de favoriser une consolidation du secteur français des télécommunications, en privilégiant une cession à des acteurs nationaux tels qu’Orange, Bouygues ou Iliad, plutôt qu’à des fonds ou acteurs étrangers. Cette approche permettrait de renforcer la position des opérateurs français sur le marché et de créer des synergies bénéfiques pour l’ensemble du secteur. Toutefois, il faudra en passer par une coordination étroite avec l’ARCEP et l’Autorité de la concurrence en vue d’imaginer un scénario de découpage des activités B2C et B2B, fixe et mobile.

Encourager la participation d’investisseurs institutionnels français, tels que des fonds souverains, la Caisse des Dépôts, Bpifrance, ou Ardian (ex-AXA) dirigé par Dominique Senequier, permettrait d’injecter du capital tout en gardant des actifs stratégiques sous contrôle national. Ces investisseurs pourraient jouer un rôle clé dans le redressement de SFR et dans la préservation de son indépendance. Ils sont déjà présent dans Orange pour la CDC, chez le Cloud souverain Numspot pour la BPI ou dans les datas centers pour Ardian.

Mettre en place une gouvernance partagée intégrant l’État français pourrait garantir le maintien des infrastructures critiques sur le territoire national. Cette gouvernance pourrait inclure des représentants de l’État, des investisseurs institutionnels et des acteurs du secteur des télécommunications, assurant ainsi une gestion équilibrée et stratégique de SFR. Afin de ne pas se heurter aux règles de neutralité concurrentielle et la frilosité des investisseurs étrangers, un portage « juridique » sous la forme d’un GIE ou d’une SEM doit être imaginer.

Intégrer dans la gouvernance des acteurs français de l’énergie ou du transport maritime, bien que peu évoqué jusqu’à présent, pourrait apporter une dimension supplémentaire à la stratégie de consolidation. Ces acteurs pourraient apporter des compétences et des ressources complémentaires, renforçant ainsi la résilience et la compétitivité de SFR.

Pousser le cadre réglementaire à privilégier des offres de reprise par des opérateurs français lors des appels d’offres pourrait favoriser une consolidation nationale. Cette approche permettrait de garantir que les actifs stratégiques de SFR restent sous contrôle français, tout en encourageant une concurrence saine et équitable sur le marché. La part des actifs stratégiques pouvant être reliés aux impératifs de la sécurité nationale peut être mise en évidence (directive FDI Screening – code télécoms de l’UE)

Le caractère stratégique des infrastructures télécoms comme celles de SFR est un enjeu majeur de souveraineté numérique et économique pour la France. Ces infrastructures garantissent l’indépendance dans les communications, la sécurité des données et le contrôle sur les réseaux essentiels.

  1. Risques Géopolitiques : Une cession à des fonds étrangers, notamment venant de régions avec des enjeux géopolitiques sensibles (ex: Etisalat (Emirats Arabes Unis), STC (Arabie Saoudite), KKR le Fonds américain), peut menacer cette souveraineté. Ce risque est plus aigu dans un contexte de compétitions entre grandes puissances sur la maîtrise des technologies numériques et télécoms. L’un des bailleurs de fonds américain actuels, BlackRock a-t-il l’intention de rester ou de se retirer ?
  2. Contexte Européen : L’Union européenne pousse pour la consolidation et la création d’acteurs capables de rivaliser à l’échelle globale dans la 5G et au-delà, tout en gardant une vigilance sur la dépendance aux acteurs non-européens. Cette approche vise à renforcer la position de l’Europe sur le marché des télécommunications et à garantir sa souveraineté numérique. Est-elle en mesure d’avoir les moyens de son ambition affichée ?
  3. Équilibre National-Économique et Géopolitique : La conservation des actifs chez des opérateurs français est un enjeu majeur de résilience, de sécurité nationale et d’indépendance technologique, face aux tensions internationales et aux risques cyber. Une cession à des acteurs nationaux permettrait de préserver ces enjeux stratégiques et de garantir la souveraineté des infrastructures télécoms françaises.

La situation de SFR appelle une action stratégique rapide et coordonnée. Une cession, inévitable face aux difficultés financières, doit être pensée de manière à préserver au maximum la souveraineté des actifs télécoms français, tout en stabilisant la structure financière et opérationnelle du groupe. La consolidation du secteur français des télécommunications, la participation des investisseurs institutionnels nationaux, une gouvernance partagée intégrant l’État et un cadre réglementaire favorable aux opérateurs français, sont autant de pistes à explorer pour garantir un avenir durable et souverain à SFR. (E.G)